Les époques de l’histoire du rien : du sacré à la pensée technique

Par Sébastien Hoët
Le sacré comme célébration et oubli du rien

Insister, chez Roger Munier, sur la nécessité d’une juste accommodation de l’œil au monde revient à l’affirmation de l’unité du monde, à l’affirmation du Mystère qu’est cet être- un du monde : « Mais pourquoi faut-il que la présence disparaisse ? Répétons-le, elle ne disparaît pas au sens qu’elle s’effacerait devant… se perdrait au profit de… Elle se perd dans » [1] Ce que nous voyons n’est pas menacé de fugitivité, d’effacement, par le mouvement du monde. L’ « occultation » dont nous instruit la méditation sur le rien n’est pas l’occultation au sens commun du terme – la propriété d’un corps d’en cacher un autre par sa forme et son opacité, comme la lune occulte parfois le soleil. Cette dernière occultation nous reconduirait à une pensée marquée par les tours de la transcendance dont R. Munier se garde, malgré la tonalité religieuse ou mystique de ses écrits : le monde est tout entier dans une immanence complexe, tout entier dans une présence dont le dynamisme seul, le mouvement de soi à soi, et l’espacement intérieur (nécessaire à la possibilité d’un déploiement du mouvement), peuvent être qualifiés de disparition. C’est la nostalgie que la présence a d’elle-même qui est le corps du rien, et si débordement – profusion – il y a, ce n’est pas par un vide stellaire, une absence qui arrêterait le contour de l’objet, que nous prendrons la mesure de la richesse jaillissante du monde, mais par une méditation installée dans la croissance continue de ce qui est, dans l’ajout de soi à soi, à la semblance de la plante qui se sent croître, et dont le contour n’est que rassasiement temporaire de l’appétit de croissance.

Mais si le rien fait figure du signe d’égalité de la tautologie soi=soi, nous ne pouvons pour autant nous réjouir de sa persistance éternelle : si le rien est rappel de ce que le monde est disparition dans la présence, le rien lui-même peut être effacé car il possède une histoire – au même titre que l’Être chez Heidegger –, des « époques » où il se fait manifeste dans son humble mesure, où il est oblitéré presque complètement [2] : « À l’origine, le rien était perceptible encore dans l’apparence finie. Il était son éclat, son énigme » [3]. Il se faisait jour éminemment dans certains êtres ou certaines icônes sacrés, tel l’arbre de Dodone des Grecs, dont le feuillage bruissant était révéré comme le chiffre mystérieux de la parole de Zeus. Le sacré est, de fait, le signe de ce que l’être qui le supporte est autre chose que soi, mais cette altérité est inscrite dans le dépli du soi [4] : l’arbre de Dodone bruit du souffle divin, mais il bruit comme seul un arbre bruit, c’est donc en tant qu’arbre qu’il est sacré. Le sacré n’est pas l’ouverture ou la mémoire d’une double dimension écrite dans les nœuds sibyllins d’une chose qui serait au méridien de deux mondes, comme un seuil entre ceux-ci, il est, d’après notre auteur, la célébration du divin de ce qui est (soi), la reconnaissance, confuse certainement, de ce que Dieu n’est pas, contrairement aux dieux épicuriens, un Être qui règne entre les mondes et presse de l’extérieur le contour des choses, mais bien l’élan d’affirmation de soi de chaque chose. Pourtant, si le sacré est à l’orée de l’histoire du rien, s’il en est la célébration, cette célébration en commence l’oubli : « Le sacré ne sait encore que le possible de l’arbre. Hors de l’enceinte sacrée, le chêne – tout chêne – n’est plus que soi » [5]. Qu’est-ce à dire ? Le sacré ne dessine-t-il pas l’aurore d’une pensée authentique du rien et du monde en ce que, justement, il chante la chose comme ce qu’elle est ? Que désigne en l’occurrence le n’être-plus-que-soi comme une première forme d’oubli du rien ?

Le sacré, outre qu’il nomme une chose en son être-autre-et-soi, trace les limites d’un territoire, et cette topographie est d’ores et déjà une menace d’oubli du rien. Elle construit celui-ci comme le bord extérieur du monde profane, comme si dans la cuisine d’Héraclite les dieux ne veillaient pas, autrement dit, comme si le monde en son illimité n’était « sacré » : le sacré n’est que d’un lieu clôturé, de l’ « enceinte », d’un prélèvement exprès effectué certes à partir du monde mais distingué irréductiblement de ce dernier. Le chêne sacré est chêne, arbre en son message même, mais il ne délivre de message dans le remous de son feuillage que dans la mesure où il a été distingué de l’arbre « profane » , c’est-à-dire de tout arbre ; et cette distinction, au lieu de reconnaître tacitement que toute chose possède nativement l’autre en soi et lui fait signe dans le dynamisme général du monde, au lieu de convenir de ce que cette chose sera révérée comme un être particulier résumant tous les êtres, telle l’idée (au sens platonicien) à laquelle participent ces êtres, cette distinction n’universalise – n’idéalise – pas la chose en question, elle s’enfonce au contraire dans sa particularité là où devrait être réalisée l’identité générique – ou idéale. Alors le chêne de Dodone est un arbre mais il n’est pas l’idée de tout arbre, il n’est que « le possible de l’arbre » en ce qu’il n’est qu’une possibilité d’actualisation de l’idée d’arbre, et son être-autre ne propose d’altérité que forcée par un acte de clôture cérémoniale qui est, corrélativement, un geste dénégateur à l’encontre de tout ce qui n’est pas forcé à l’altérité, donc, littéralement, ce qui n’est pas altéré par la violence topographique du sacré [6]. Le sacré s’invente comme dimension d’altérité dans certaines choses, refusant la profondeur du soi autre aux choses délaissées.

Le sacré accomplit en outre le dédoublement transcendant contre lequel R. Munier nous a déjà mis en garde : « La nostalgie du Disparu du monde, sa mémoire de plus en plus voilée, l’invocation qui se tend vers Lui comme le Secourable, lentement, inexorablement Le recule dans un ailleurs, dans un au-delà. Le Disparu dans le monde devient purement le Disparu hors du monde, hors du temps (…) » [7]. Et Roger Munier de donner en exemple de ce recul dans l’ailleurs que motive le sacré l’adresse biblique au buisson ardent. Le sacré est consommation du rien au double sens du mot : il le célèbre dans la négation, il l’appelle à la présence en l’absentant de fait, car l’invocation du divin par la médiation de la chose sensible, par les nécessités d’un mouvement dialectique que R. Munier n’identifie pas comme tel, médiatise la chose ou anéantit la chose au profit de l’Autre en lequel elle est relevée : l’arbre de Dodone demeure arbre mais son être-arbre n’est plus qu’un moment dans l’avènement, du divin. Ce moment, même évanouissant, abrite la dualité réinstallée insidieusement entre le sensible et le divin, dualité de la transcendance théologique classique, qui ne peut appréhender les choses, l’arbre, que dans leur destruction par le feu divin, ainsi qu’en témoigne le buisson ardent « qui sans fin se consume (… ) » [8].

La complexité du lien noué entre le rien et le sacré montre au moins que le rien n’est pas visible au regard qui l’affronte, regard spéculatif ou hiératique, et croit l’enclore sans perte de mémoire dans une chose distinguée conventionnellement comme autre chose que ce qui lui est semblable. La sensibilité au rien est affaire d’accommodation du regard mais d’un regard donné par un sujet capable de voir chaque chose dans l’horizon qui la fait résonner parmi les autres êtres de tous genres, et de ne pas céder à la tentation de pétrifier les bords instables de la vision par où elle « ferme » le regard pour se remplir de la chose vue, tout en l’ouvrant aux lignes de fuite qui font basculer la chose dans la totalité jamais réalisée du monde en frontières d’une topographie sacrée. Si le contour m’invite à voir la chose sur le fond du rien qui la dépose, c’est en tant que le contour ne vaut que comme l’appel à la négation de soi, même si ce dépassement ne trouve son lieu que dans l’espace non transcendant du « dans ». Le sacré est mise en danger du rien car il est fixation d’un contour, relégation de la chose dans son contour, dans son territoire fermé, alors que tout est sacré, et qu’il n’y a pas d’ailleurs car l’ailleurs est ici.

Par ce refus de l’ailleurs, la pensée de R. Munier fait vaciller la compréhension commune que nous avons de la religion, ainsi que nous l’avons mentionné. R. Munier est un authentique croyant, et même le bâtisseur d’une théologie sensible, discrète, mais cette croyance « est loin de toute adhésion à une structure dogmatique ou spéculative » [9]. Entendons par là que la méditation de notre auteur conduit à l’approche d’une religion qui ne soit plus livresque, écrite ou rituélique. Il y a assurément du religieux chez R. Munier, mais cette religiosité fait signe vers une religion primitive, au sens où les religions positives sont le précipité d’une attitude religieuse qui les a toujours déjà précédées, qui était religion vécue, avant que l’homme, progressant en intelligence et en technicisation de la nature, ne limite la religion en pratiques isolées, n’en fasse un domaine d’objets parmi d’autres. La religion est alors devenue territoire d’une maîtrise possible, après avoir été climat de la vision.

Cette rétrocession vers une religion primitive ou absolue apparente Roger Munier à l’un des héritiers de la mystique et de l’idéalisme allemands, Schleiermacher. « La religion est sens et goût de l’Infini » [10], « l’Univers est dans un état d’activité ininterrompue et se révèle à nous à chaque instant. Chaque forme qu’il produit, chaque être auquel, du fait de l’abondante plénitude de la vie, il confère une existence distincte (…) est une action qu’il exerce sur nous. Par suite donc, prendre chaque chose particulière comme une partie du tout, chaque chose limitée comme une représentation de l’Infini, c’est là la religion » [11]. Nous retrouvons ici les traits saillants de la méditation de R. Munier, à cet instant de notre analyse : dynamisme généralisé des choses vers le fond qui les soutient, propriétés d’éblouissement de la chose (son caractère de distinction qui pourrait nous faire oublier l’indistinct du fond), la nécessité d’accommoder la vision au tout plutôt qu’à la partie qui n’en est qu’un prélèvement trompeur et à l’origine du sacré. Néanmoins, la comparaison entre les deux écrivains doit être nuancée : chez Schleiermacher, la religion est dans le passage de la partie au tout, passage qui est représentation : je serai d’âme religieuse si dans la chose j’ai l’intuition que l’Infini se présente à nouveau, en plus d’être le ciel étoilé au-dessus de moi, car c’est l’Infini qui fait la chose distincte. Chez R. Munier, l’important n’est pas du passage de la chose à l’Infini, il est, de façon plus complexe, dans l’insistance de la chose en elle-même, dans son là, car en vérité la chose n’est pas vraiment : c’est notre vision qui la fait être [12]. Plongeant le regard dans la chose, j’ai une chance de la voir s’effuser en un lieu indéterminé qui, lui-même, débordera dans la pure inclusion du dans. La chose n’est donc pas, chez R. Munier, « une partie du tout », puisque la partialisation de l’Infini réinstalle subrepticement la légitimité de la chose comme étant par soi et non par nous, début de l’oubli du rien motivant le sacré.

La chose, à défaut d’être partie du tout, sera-t-elle image du tout, image du rien ? Car si le rien est affaire de vision ou de regard, il est affaire de visibilité : « J’interroge le visible. Je cherche dans le visible une dimension perdue », écrit R. Munier dans l’incipit de Le Seul. Cette dimension perdue n’est pas dimension d’exil dans l’ailleurs mais « l’invisible est la dimension même du visible » [13]. Si l’image est ressemblance – homo imago dei – , la chose n’est pas image du rien, elle est ce en quoi le rien se renonce pour qu’elle soit. De soi la chose ne conduit qu’à notre regard puisqu’elle n’est que le regard accommodé à la maîtrise, et la chose sacrée est le regard qui idolâtre les bords de sa vision. Le fameux commandement biblique : « Tu ne feras aucune idole, ni aucune ressemblance de rien de ce qui est dans le ciel là- haut et sur la terre en bas et dans les eaux sous la terre » (Ex. 20,4) porte ainsi à faux : l’idolâtrie n’est pas dans la ressemblance ou le mimétisme prétendus, mais dans le subjectivisme. Le Concile de Nicée II (en 987) a tenté, en période de querelle iconoclaste, d’éclairer le statut de l’image religieuse en procédant à la distinction subtile entre l’idole et l’icône : « Nous définissons en toute justesse et rigueur que, d’une manière approchant au type de la Croix digne d’honorer et vivifiante, il faut ériger (pour Dieu) les saintes et respectables icônes, (faites) à partir de couleurs, de mosaïques et de tout autre matériau concevable » [14]. Jean-Luc Marion de commenter ce Canon dans ces termes : « (…) l’icône ne reproduit pas, selon les degrés de similitude, son original, mais se réfère paradoxalement à un prototype plus désigné que montré. La Croix n’offre aucun spectacle ni aucune image du Christ ; elle ne lui ressemble pas plus d’ailleurs qu’elle n’en diffère ; simplement, elle n’entretient avec lui aucun rapport de similitude, ni de dissimilitude » [15]. Mais la Croix n’est pas la seule icône possible, et ce en quoi cette distinction idole-icône peut servir notre étude, c’est l’utilisation du regard, de ses réglages possibles, à laquelle elle recourt : l’icône et l’idole ne désignent pas tant deux choses différentes que deux regards différents pour une même chose [16] :

Que l’invisible reste invisible, ou qu’il devienne visible, cela revient au même, à savoir l’idole, dont l’office justement consiste à diviser l’invisible en une part qui se réduit au visible, et une part qui s’offusque comme invisable. L’icône, au contraire, tente de rendre visible l’invisible comme tel, donc de permettre que le visible ne cesse de renvoyer à un autre que lui-même, sans que cet autre ne se reproduise pourtant jamais en lui. Ainsi l’icône ne montre-t-elle, à proprement parler, rien, pas même sur le mode de l’Einbildung productrice. Elle en remontre au regard, donc ne cesse de le corriger afin qu’il remonte de visible en visible jusqu’au fond de l’infini pour y trouver du nouveau [17].

La distinction idole-icône est destinée à « corriger » le regard : l’idolâtrie opère la scission du monde en visible et invisible (ou invisable), elle laisse à espérer une autre dimension, une dimension de l’Autre, qui n’est pas de l’ordre d’une visée possible, mais qui a la consistance d’une vérité secrète inviolable du monde. Comme nous le notions entre parenthèses, avec Jean-Luc Marion, l’invisible n’est ici qu’invisable, bord extérieur de la visée humaine, et cette humilité qui fait à l’idolâtre obligation de renoncer au secret du monde pour se cantonner dans l’espace duvisible-invisible visable et adorable a tôt fait de tomber dans son contraire : l’idolâtre adore la visibilité qui est à sa mesure, il s’adore dans l’invisible qui n’est que le visible qui se sursoit à lui-même, il est regard « en arrêt » sur une chose, ne voyant de cette chose que l’éclat de son propre regard [18]. La dénonciation de R. Munier à l’encontre du sacré est donc du caractère idolâtrique du sacré : le chêne de Dodone ne donne de parole que celle que l’homme lui concède dans les limites qu’il a déterminées pour cette parole, dans les arrêts (tel arbre, tel lieu, tel temps, tel rituel, tel oracle…) qu’il lui impose, l’invisibilité de Dieu est comprise comme la simple consomption du visible dans l‘Exode biblique. À chaque fois le visible est l’aune de la référence, même négative, à l’invisible, quand un regard justement réglé ou accommodé révèle que l’invisible est au contraire dimension (au sens actif de : dimensionnement) du visible : l’invisible est mesure du visible, comme le rien « précède » ce qui est et le met en mouvement. Il s’agit d’ « en remontrer au regard » sans rien lui montrer, de le faire rebondir d’un visible à un autre, à l’infini. Ce transport incessant est celui que nous demande R. Munier, comme il est celui de l’icône conçue comme modulation du regard, avec des nuances importantes que nous allons apporter et qui nous permettront de préciser encore les jeux d’accommodation du regard dans l’œuvre de notre auteur.

Le sacré e( s)t la technique

Le travail sur le regard est donc un travail de transport mais aussi de rétrocession : le sacré étant l’idolâtrie qui se désavoue comme telle, il est nécessaire de remonter en deçà de ce précipité de la religion primitive. À la source, le sacré et la technique ne sont pas distincts à proprement parler : le sacré est installation d’une clôture, d’une scission entre un monde divin et un monde profane, et cette topographie est, pour R. Munier, le premier moment de la pensée technique. R. Munier reprend à son compte l’essentiel de la déconstruction heideggérienne de la technique. Pour Heidegger, « l’essence de la technique n’est absolument rien de technique » [19], autrement dit, il faut abandonner la conception instrumentale de la technique : la technique n’est pas dans l’ensemble des outils que l’homme a forgés pour la domination de la nature, avec pour fin la construction d’un monde sans surprise et essentiellement disposé pour l’homme, technique qui se serait emballée dans la période des révolutions industrielles et verrait son apogée au vingtième siècle. La technique est un mode de pensée qui menace de devenir hégémonique, et c’est une telle hégémonie que dénonce Heidegger [20]. L’homme ne pense plus que dans le contexte de la transformation de toute chose en un ustensile possible, alors que l’humanité est par essence dans la capacité d’un être de chercher le sens de ce qui est [21] : l’animal est capable d’user d’outils élémentaires, et de modifier l’environnement naturel, mais la recherche du sens lui est totalement étrangère.

La technique ainsi entendue comme mode de pensée n’est pas une invention de la modernité, elle a son origine dans l’antiquité grecque, même s’il faut effectivement attendre l’aube des temps modernes pour qu’elle se révèle dans l’outrance qui est la sienne, envahissant le monde et formant même peut-être l’aliment du rêve contemporain d’un monde qui embrasse la diversité des cultures. La technique, devenant notre unique Weltanschauung, a un rapport manifeste avec la vérité et contribue à la substitution généralisée de l’exactitude à la vérité, à la confusion entre l’ustensilité et l’essence, l’algorithme et la méditation absorbée par la recherche du sens. Mais si la technique joue d’un tel pouvoir d’effacement des critères du sens et de la vérité, c’est qu’elle participe de ces critères : « La technique est un mode du dévoilement » [22]. Il y va dans la technique d’un destin de la vérité ou du dévoilement, comme l’écrit Heidegger en traduisant littéralement l’alétheïa grecque – qui fait explicitement signe vers la propriété de la vérité d’excéder l’adéquation de l’intellect et de la chose (selon l’énoncé médiéval), ou l’accord du jugement avec l’objet jugé, en somme sa définition strictement nominale [23]. Quand le rapport avec l’Être décliné comme physis prend la tournure de la poïesis, c’est-à-dire du faire, de la production qui ouvre simplement à la présence de ce qui auparavant était caché, ce rapport est encore de confiance en l’Être, ce qui n’est plus le cas lorsque la technique étouffe la pensée sous l’obsession de l’ustensilité et conduit dès lors à « provoquer » ce qui n’est plus que « la nature » en la prenant d’assaut, en la mettant en demeure de se livrer comme énergie, ensemble de ressources matériellement exploitables.

En quoi la méditation de R. Munier reprend-elle, comme un implicite sur lequel elle ne se retourne pas, cette déconstruction – rapidement exposée – de la technique ? Heidegger trouve un commencement historique à la pensée technique dans la philosophie platonicienne : avec les présocratiques, la proximité avec l’Être est telle que le concept même de philosophie n’existe pas en tant que tel, qui suppose l’identification du questionnement essentiel avec un domaine positif de l’encyclopédie des savoirs ; l’oubli de l’Être débute avec l’invention et la pratique par Platon du concept normatif d’orthotès [24]. L’allégorie de la Caverne (République, Livre VII) construit le socle épistémologique de la compréhension moderne de la vérité, en ce qu’elle inaugure le souci pour l’exactitude : la vérité était d’abord le dévoilement de la chose en elle-même, la venue en présence de ce qui est, hors de l’oubli – la léthè de l’alétheia – qui couvre à la vue certes, mais tout d’abord à la chose même ; après Platon, elle est l’affaire exclusive d’une accommodation de la vue qui s’exerce – d’où l’importance d’une païdeïa que l’allégorie de la Caverne a pour tâche de fonder contre l’opinion et de déterminer comme l’aspiration à l’Idée des idées – à supporter, métaphoriquement parlant, les rayons éblouissants (pour celui qui vivait jusque lors dans l’ombre) du feu solaire, lequel est seul à rendre visible pour lui-même tout ce qui est. Plus schématiquement, la vérité était le mode en lequel le « réel » se donnait dans le retrait, Platon a ramené la vérité dans le procès de l’ajustement de la vision intellectuelle à l’idée qui soumet la chose dite contingente, en devenir, à son prototype exact et éternel. Cette théorisation, au sens étymologique du terme, de la vérité, est d’ores et déjà le déni d’une profondeur, et d’un mystère en soi de la nature, et lance le mouvement de logicisation de la vérité comme propriété de l’accord d’un énoncé avec la chose qu’il vise. Cette logicisation, à son tour, entraîne la construction de la subjectivité comme point d’assise du vrai, un premier « humanisme », et l’époque de la métaphysique où le doublement de la présence dans les structures de la raison subjective oriente la philosophie, la pensée, sur la voie unique de la représentation.

Nous pouvons maintenant apporter des éléments de réponse à la question posée en début de paragraphe : R. Munier installe ses méditations dans le lieu d’une pensée non représentative, si la représentation fait suite au dédoublement métaphysique de la chose en soi et de la chose « perçue » (comprise) par un sujet et pose l’existence au moins intellectuelle d’un Ailleurs de vérité radieux. Une pensée non re-présentative (non technique) est donc une pensée qui dénoue le rapport du vrai avec la subjectivité, et même, fait voler en éclats cette dernière pour donner à nouveau la parole au monde, d’où cet effort inlassable, fatalement voué à l’échec, de R. Munier de penser un monde sans l’homme, de penser un monde sans penser, de l’entendre sans oreilles [25]… Si le regard est le biais par lequel le monde se découvre dans la non-pensée, le « dé-penser », ce regard ne peut être un point de concentration, de foyer, de la subjectivité : regarder est d’abord se disperser, littéralement se désubjectiver [26].

L’originalité de R. Munier, quand il devient historien du rien, est de faire surgir la technique du sacré qui lui est communément opposé, est désigné comme ce qui nous préservera des ravages de la pensée instrumentalisante. Le sacré est un premier morcellement du monde, la première impulsion donnée à la transformation de l’indistinct du monde en cette somme d’objets qu’est le réel (ou « monde ») et l’histoire du rien (comme celle de l’Être, une fois encore) est celle de son oubli. Le regard trouve à s’accommoder dans le souvenir, dans l’anamnèse plus précisément : il faut que je fasse violence à la mémoire commune pour apercevoir le rien, à cette tradition de l’oubli qui la fonde, et fasse retour à une espèce d’éternité. Mais, à ce moment antique de l’histoire, où sacré et technique se confondent, l’oubli n’est qu’un défaut d’une mémoire qui se rappelle le rien par bribes ; dans la seconde époque de l’histoire du rien, la mémoire puise dans l’oubli, puisque le sacré lui-même y sombre. L’arbre est rendu à sa nudité, il est désormais enclos en lui-même : « (L’inévitable oubli) affleurait dans le silence fertile de l’arbre qui n’était rien d’autre qu’arbre, qui n’était le Rien – mais l’était vraiment – que dans l’effacement de son utilité d’arbre » [27]. Dans ce Moyen Age du rien, l’arbre s’efface en son utilité, il n’est plus parole de l’Autre, il n’est même plus feuillage bruissant qui dit, en termes heideggériens, le Quadriparti (Geviert [28]) du Monde, qui le récolte, l’arbre est l’offrande, le don de ses fruits, exclusivement. Et ce don permet au rien d’être présent encore, à sa manière inverse : se donnant comme n’étant « vraiment » plus rien, s’absentant dans le fruit qui n’est rien que le fruit, s’y consommant. Regarder le fruit comme n’étant que plein de soi demeure pourtant une manière d’écoute (le regard ne se limitant pas à la vision) donnée aux choses, un échange de dons entre le monde qui se morcelle et l’homme qui s’en nourrit. Ce que ne sera pas la troisième époque, notre époque, qui frappe d’oubli le don lui-même, où, comme nous l’avons vu avec Heidegger, l’hégémonie de la pensée technique dans le penser humain fait arracher à la nature une énergie qui ne la constitue pas essentiellement, certes, mais à laquelle elle est abusivement identifiée.

Soulignons néanmoins une différence d’interprétation historique entre R. Munier et Heidegger. Pour le penseur allemand, c’est l’avènement d’une pensée orthothétique, et plus tard technique, qui appelle la mainmise sur la nature appauvrie, devenue objet face à la subjectivité maîtresse d’elle-même, tandis que chez R. Munier c’est la clôture du rien dans le territoire sacré, le rien devenant alors le don du fini fermé sur soi puis l’oubli par le fini du don qu’il est, qui conduit à l’avènement de la pensée technique, à l’arbre des exploitations industrielles [29].

Mais le rien s’est-il ultimement absenté de l’arbre tel que l’appréhende la pensée technique ? L’arbre n’est-il pas dans la pensée technique mieux que dans le sacré qui l’altère « rien d’autre que soi » ? S’il l’est de fait, il reste que le rien qui se « donne » ici n’est plus rien dans la mesure où le rien est séjour, habitation, éclosion, don… Si nous ne nous accordons pas à ce don, si nous le forçons, nous ne sommes plus capables d’habiter le monde en tant que mouvement du rien. Dans cette négation même du rien, et toujours dans un geste heideggérien, si ce n’est hölderlinien (« Au sein du danger croît ce qui sauve… »), R. Munier entrevoit un des tours du rien : il s’« abandonne » à l’homme [30]. L’homme, maître de soi et de la nature, ne l’est effectivement que par l’abandon du rien à cette maîtrise, qui fait l’ambiguïté de celle-ci, et certainement son caractère éphémère : l’homme maîtrise à proportion de l’abandon du Disparu à ses pouvoirs, qui rappelle que le fond de toute maîtrise est une absence de maîtrise qui se renonce et rend la maîtrise illusoire – car la maîtrise est aveugle, travaillée par l’oubli de sa source au point qu’elle en devient oubli de l’oubli. Nous le disions au début de ce travail, et nous pouvons maintenant le préciser : si l ‘homme est l’artisan du découpage du monde en choses, c’est par l’oubli des origines de son activité. Et encore : le monde est ensemble de choses quand le rapport de l’homme avec le monde est de confiance ou de travail confiant, poïétique pour ainsi dire, ces choses sont déchues en simples objets sans relief propre que celui d’être posés en face de la maîtrise, livrés à celle-ci de tout leur être, quand le travail n’est plus qu’une dimension de la technique : « Les choses n’y sont que ce qu’elles sont, réduites à ce qu’elles sont, à ce qu’on veut qu’elles soient. Comme disparues au fond de soi dans une disparition seconde, disparues de soi. Elles ont perdu leur être de choses, leur dimension librement déployée : elles ne sont plus qu’objets » [31]. Le monde est le sillage visible d’une invisible Disparition qui l’aimante, l’homme double, lui, cette Disparition de la disparition seconde que compose la mémoire négligée du rien qui contourne la présence, disparition de la Disparition qui réduit la profondeur du monde à une surface réticulée, planifiée pour le rendement. Paradoxalement, la création des arrière-mondes propre aux religions dogmatiques, ou à leur compréhension déficiente, est le produit non pas d’un regard justement accommodé qui voit l’être et le rien comme le dépli d’une profondeur une, mais celui du procès technique qui sépare le monde, devenu surface miroitante, de son fond – surface miroitante, absolue, c’est-à-dire déliée de ce qui la fonde.

Dans cette critique de l’absoluité sécable du monde technique, R. Munier confirme bien sûr Heidegger et son diagnostic concernant le déracinement de l’homme moderne – « (L’objet technique) (…) est absolu, sans racines (…) [32] ». L’homme ne communie par conséquent avec le rien qu’à la faveur de son enracinement dans une nature non ou peu exploitée techniquement, ou s’il se fie à la technique, il n’a d’« accès » qu’au rien du rien, à savoir à l’oubli du rien que nous venons d’éclairer, un pur flottement sans attaches. Le rien « premier » est au contraire attaché, il est ce qui donne profondeur à la nature, y mettant au jour la physis qui y palpite encore, même cachée, il est ce qui donne au visible profondeur d’invisible au lieu que dans le monde technique « le visible n’est plus que le visible ».

R. Munier n’a pourtant pas achevé son analyse de l’apparition-disparition du rien au cours de l’histoire. Au sein du danger croît ce qui sauve, peut-être sommes- nous aujourd’hui, en cette troisième époque où le rien est oublié, dans une « visibilité » paradoxale du rien : « Si l’arbre n’est plus, au terme du processus réducteur, qu’arbre seul et nu, c’est peut-être pour qu’il soit enfin reconnu comme arbre, comme l’arbre » [33]. Le sacré est perte de soi dans l’Autre, manque d’insistance en soi, manque à la tautologie du soi, qui est une première négation du rien : « (…) le chêne de Dodone n’était l’arbre que par dédoublement signifiant, comme porte-parole et truchement du dieu » [34]. Il n’était l’arbre que dans le lieu défini par l’activité de l’oracle et du dieu qui s’y manifestait. Les autres arbres n’en étaient pas, insignifiants par rapport au chêne de Dodone qui, seul, disait… La technique constitue aussi une méconnaissance de l’arbre en son essence, mais elle ne distingue pas un arbre d’un autre, et touchant l’arbre dans sa matière nue, au lieu où le discours semble exténué, rendu à l’en-deçà du verbe, elle touche, sans le penser malheureusement, le fond indistinct de l’arbre [35]. La technique est alors la souffrance infligée au rien, souffrance de son abolition inlassablement projetée, voulue, qui se heurte à l’irréductible nudité du rien dans la souffrance même. Et R. Munier de confirmer le lien indissoluble voire la synonymie que cette section a tenté de mettre en lumière du sacré avec la technique : « Ce qui n’était que pressenti par le sacré ne doit-il pas s’accomplir dans ce qui apparaît comme la négation même du sacré, mais qui n’en est, au fond, que l’aboutissement naturel ? » [36].

Résumons-nous une dernière fois et de façon plus ample : le sacré élabore, dans ses contours extérieurs, la constitution d’un espace profane jonché d’outils, d’objets transparents, découpés comme des bris de miroir et reflétant l’activité de l’homme, des objets sans nom, insensés, qui jamais ne sont réunis dans l’ancienne continuité du monde où le rien se « présentait » librement. Cet espace, vacant même si surpeuplé, R. Munier le comprend comme un « monde déserté » ; monde sans refuge, ou, si nous nous rappelons les jeux étranges du rien, monde qui a fait place nette pour une nouvelle forme d’habitation ? La réponse de notre écrivain est sans ambiguïté : le désert est ici le vide éblouissant où nous sommes « étrangers, comme en exil, en proie aux choses étincelantes et nulles » [37]. Il ne nous reste aujourd’hui qu’une alternative : ou nous prenons conscience du rien en tant que rien d’autre de notre monde, pure position du monde en lui- même, et paradoxalement le sacré disparaît en s’outrepassant dans l’illimité de cette position, ou nous continuons notre course dans le désert, totalement amnésiques, et la disparition absolue de la Disparition fait de nous des êtres étrangers pour eux-mêmes puisque sans racines, voués à une mobilité infinie et vaine, en attente d’un arrière-monde dont ils ont oublié qu’il est ici et maintenant ce monde qu’il faut apprendre de nouveau à habiter.

[1] R. Munier, Le Seul, Deyrolle, 1993, p. 22. L’écrivain souligne.
[2] Et cette historicité de l’épiphanie du rien va de soi si nous gardons à l’esprit le fait que l’Être est aussi affaire d’accommodation du regard : l’épiphanie du rien est fonction du regard que nous lui portons, elle n’est peut-être rien d’autre, d’ailleurs, que la marque des variabilités non subjectives du regard.
[3] R. Munier, ibid.., p. 88.
[4] R. Munier, ibid.., pp. 89-90.
[5] R. Munier, ibid.., p. 91
[6] Roger Munier écrit pour sa part : « Il n’est de lieu “sacré” que là où l’homme, si peu que ce soit, intervient », in Opus incertum I, p. 116.
[7] R. Munier, ibid.., pp. 92-93. L’auteur souligne.
[8] R. Munier, ibid.., p. 93.
[9] Le Monde, entretien avec Raphaël Sorin, le 4 novembre 1983.
[10] Schleiermacher, Discours sur la religion, trad. I. J. Rouge, Aubier, 1944.
[11] Schleiermacher, ibid.., p. 154.
[12] Cf. supra, p. 24.
[13] R. Munier, ibid.., p. 15.
[14] Concile de Nicée Il, Canon 7, cité à partir de J.- L. Marion, La Croisée du visible, « Le prototype et l’image », P.U.F., 1996, p. 117.
[15] J. -L. Marion, ibid.., p. 126.
[16] « Le regard fait l’idole, non l’idole le regard (…) », in J.- L. Marion, Dieu sans l’être, P.U.F., 1991,p. 19.
[17] J. -L. Marion, Dieu sans l’être, p. 29 (avec une référence tacite au dernier vers des Fleurs du Mal).
[18] Jean-Luc Marion, ibid.., p. 19 sqq.
[19] Heidegger, La Question de la technique, in Essais et conférences, trad. A. Préau, TelGallimard, 1988, rééd., p. 9.
[20] « Je dois dire tout d’abord que je ne suis pas contre la technique. Je n’ai jamais parlé contre la technique (… )» , in Entretien du professeur Richard Wisser avec M. Heidegger, ZDF, 24 septembre 1969.
[21] Cf. Sérénité in Questions III et IV, trad. A. Préau, Tel Gallimard, 1990, rééd., p. 133, sqq.
[22] Heidegger, Essais et conférences, p. 18, sq.
[23] Cf. notamment Heidegger, Etre et Temps, §44, « Dasein, ouverture et vérité », trad. E. Martineau, Authentica, 1985, p. 159, sq.
[24] Cf. Heidegger, La doctrine de Platon sur la vérité in Questions Il, trad. A. Préau, Gallimard, 1987, p. 117, sqq. Lire en contrepoint le livre de Bernard Stiegler qui commente ce texte et le critique habilement, faisant de l’ « orthothèse » l’un des centres de sa réflexion sur la technique comme « prothèse » pour l’homme souffrant originairement du défaut de la mémoire, de l’épimétheia : La Technique et le temps, Tome 2, Galilée, 1996, p. 45, sqq.
[25] Cf. notamment : « Le ruisseau dans les herbes fait un bruit mouillé qui dit, lorsqu’on l’entend, quel- que chose qui se dit avant qu’on l’entende », in R. Munier, L’Ordre du jour, Fata Morgana, Montpellier, 1982. p. 12, repris dans Opus incertum I, p. 28. Cette notation est pour ainsi dire reprise et développée dans Exode, Arfuyen, 1993, p. 29.
[26] Nous développerons cette idée et la conception précise que se fait R. Munier de la subjectivité (de sa nécessaire disparition) dans la fin du chapitre.
[27] R. Munier, Le Seul, p. 95.
[28] Pour une approche de ce concept difficile, cf p. 227 sq de la thèse dont cet article est extrait.
[29] Ibid. Plutôt que de Heidegger, Roger Munier est très proche, à son insu, de la réflexion de Gilbert Simondon imaginant le monde avant l’avènement de la pensée technique et du sacré : le monde n’est pas alors un milieu inerte mais tendu, où des lieux et des moments concentrent des forces elles-mêmes contenues dans le fond mondain dont ils émergent. Nous avons des réminiscences de cet ancien rapport, nous dit le philosophe, avec le monde dans les exploits sportifs où l’homme escalade la montagne, où il traverse l’océan, ce pour parvenir à un lieu significatif, toutes activités qui consistent en vérité à adhérer à des “points-clés” – selon l’expression de G. Simondon – où la nature se ramasse, des foyers qui commandent le déploiement de vastes forces plus que matérielles. De même en ce qui concerne le temps : nos congés, nos vacances, nos jours fériés, etc., renouent avec la vieille unité magique avec le monde dans la possibilité qui nous est offerte de voyager vers les points-clés, mais aussi de célébrer une action inaugurale qui n’a pas perdu de son efficience (la fin d’une guerre, le renversement d’un régime par la prise d’un bâtiment symbolique…). Ce milieu tendu s’est déphasé, la figure et le fond se sont affranchis du monde auquel ils adhéraient, en somme les points-clés sont devenus inertes en se transformant en objets techniques ponctuels, sans influence à distance, et le fond, lui, a pris corps dans des sujets totalisant le sacré et le divin – les dieux, les prêtres, les héros. Cf. Gilbert Si- mondon, Du Mode d’existence des objets techniques, Aubier, Res L’invention philosophique, 1989, rééd., p. 159-178 (Genèse de la technicité).
[30] R. Munier, ibid.., p. 98.
[31] R. Munier, ibid.., p. 99.
[32] R. Munier, ibid.., p. 10.
[33] R. Munier, ibid., p. 103. L’auteur souligne.
[34] R. Munier, ibid. L’auteur souligne.
[35] On peut penser, dans un contexte tout autre, et toutes proportions gardées, aux enseignements du livre de Robert Antelme, L’Espèce humaine, Tel Gallimard, 1997, rééd. : l’univers concentrationnaire, éprouvant l’homme dans ses besoins, dans la nudité de sa faim, de son extrême pauvreté, qui en font un homme presque moins qu’humain, éprouve par là l’irréductibilité de l’humain à son objectivation comme « matériel humain ». Pour le commentaire de l’œuvre, cf. M. Blanchot, L’Entretien infini, Gallimard, 1991, rééd., p. 192, sq. Sur la possibilité, plus largement, du témoignage sur cet événement absolu, Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, trad. P. Alferi, Rivages, 1999.
[36] R. Munier, ibid., p. 106.
[37] R. Munier, ibid (soit Le Seul) p. 109